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 Lycée Fernand Forest, Saint-Priest
« Exil en vers et pour tous »

La jeune génération n’est pas moins sensible que nous le fûmes quant à l’appropriation de certains textes pour parler d’eux. Il n’y a qu’à voir le nombre de « stories » publiées sur les réseaux où l’extrait d’une chanson est mis en avant ou en filigrane dans le but de faire part de son humeur ou de faire passer un message à qui se reconnaîtra.

L’avantage de ce procédé est en effet celui de préserver une certaine pudeur, d’en dire, sans trop en dire et de laisser libre champ à l’interprétation de chacun. Je ne suis pas l’auteur, je ne suis que le passeur. Mais si je décide de passer ce message, c’est parce que je suis d’accord, parce que je comprends, ou parce que je me reconnais à travers ces mots, à travers ce rythme, à travers cet univers.

Au cours de nos différents ateliers, nous réalisons que l’artiste, qu’il soit comédien ou peintre, n’hésite pas à mettre un voile de pudeur pour parler d’un passé douloureux. Il utilise toutefois des images fortes et universellement entendues pour nous rendre compte de sa mémoire. Surtout, il la sublime pour que nous puissions accepter de la regarder.

Le poète va sublimer sa narration avec une ambition similaire : rendre beau, intéressant, intrigant un discours qui ne l’est pas de prime abord. Il va en fait créer un jeu de piste afin que le lecteur, tel un détective, cherche le sens profond qui se cache derrière cette superposition de mots, d’images, de sons, de rythme. Le poète est pudique et c’est ce qui rend son œuvre aussi fascinante.

Paroles de la chanson Trône

 

Il n'y a pas de loi ici, c'est la Sinaloa
Il fait beaucoup trop noir ici, viva la vida loca
Ils ne veulent pas nous voir ici, j'suis ce nègre au fond du wagon
J'ai un cœur tombé du camion, le sourire au bout du canon
J'aime l'argent mais je préfère avoir le temps
Tu as l'arme, encore faut-il avoir le cran
Pour le trône, tout se règle par le sang
Sur le macadam, les mômes ne respectent pas les grands

Sombre histoire, triste mélo'
Dinero, où es-tu dimelo
Je ne suis plus très far away
J'suis prêt pour le Main Event

 Ulysses, Lord Alfred Tennyson (1833)

 

Voici le port ; le vaisseau gonfle sa voile :
Les vastes mers luisent obscurément. Vous tous, mes matelots,
Qui connurent la peine, la rudesse du labeur, à moi unis en pensée,
Vous qui toujours, l'humeur folâtre, pâtirent
Du tonnerre et du soleil, et se dressèrent


Cœurs libres et fronts libres – vous et moi sommes vieux ;
La vieillesse garde son honneur et son labeur ;
La mort est la fin de tout ; mais quelque chose avant la fin,
Quelque œuvre fameuse peut encore être accomplie,
Qui ne soit pas indigne d'hommes ayant lutté avec des dieux.
Les feux commencent à scintiller sur les rochers :
Le long jour pâlit ; la lente lune monte ; l'océan

Gémit à l'entour d'une multitude de voix.

Venez, mes amis, point n'est trop tard pour se lancer en quête

D'un monde nouveau ;

poussons au large et en rangs serrés,

Fendons ces sillons sonores ;

car je garde l'envie

De voguer au-delà du coucher du soleil où baignent
Toutes les étoiles occidentales, jusqu'à ma mort.
Il se peut que les courants nous porterons,
Il se peut que nous nous échouerons aux Îles Fortunées
Et verrons le grand Achille que nous connaissions ;

Bien que beaucoup ait été pris ; il nous en reste beaucoup,

 Et si nous avons perdu cette force
Qui autrefois remuait la terre et le ciel,
Ce que nous sommes, nous le sommes,
Des coeurs héroïques et d'une même trempe,
Affaiblis par le temps et le destin,
Mais forts par la volonté
De chercher, lutter, trouver, et ne rien céder.

Le Nouveau Colosse, Emma Lazarus (1849–1887)

Pas comme ce géant d’airain de la renommée grecque
Dont le talon conquérant enjambait les mers
Ici, aux portes du soleil couchant, battues par les flots se tiendra
Une femme puissante avec une torche, dont la flamme
Est l’éclair emprisonné, et son nom est
Mère des Exilés. Son flambeau
Rougeoie la bienvenue au monde entier ; son doux regard couvre
Le port relié par des ponts suspendus qui encadre les cités jumelles.
"Garde, Vieux Monde, tes fastes d’un autre âge !" proclame-t-elle
De ses lèvres closes. "Donne-moi tes pauvres, tes exténués,
Tes masses innombrables aspirant à vivre libres,
Le rebus de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
Je dresse ma lumière au-dessus de la porte d’or !"

« L’horizon, il l’ont convoité », Michel Baglin

 

L'horizon, ils l'ont convoité, rattrapé et même un jour dépassé.

C'est là qu'a commencé pour eux ce que l'on appelle l'exil.

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« La France est tissu de l’immigration » lycée Fernand Forest, Saint-Priest  

"Le véritable exil"

La voix :

En ce mois d’avril ou est en mai ….?

Qu’importe, nous sommes partis en un rien de temps.

Battements de cils, au cœur du printemps.

 

Les enfants :

Mais !

 

La voix :

Disent les enfants.

 

Les parents :

Pas de mais

Enfants puérils

 

La voix :

Répondent les parents

 

Les parents ;

On n’a pas le temps. On n’a pas le temps !

 

La voix ;

Notre famille quitte le domicile.

Le véritable exil n’est pas d’être arraché à son pays.

C’est d’y vivre et ne plus rien trouver de ce qui nous faisait l’aimer.

 

Les enfants ;

Moi, je l’aimais

Notre Syrie, notre Kabylie

Notre Marseille, notre famille,

Elle part au loin, embrumée

Par l’épaisse fumée

De ce bateau qui vacille

Sur notre Méditerranée.

 

Les enfants :

C’est loin là-bas ? Dis le Brésil ?

Loin des bourreaux ? Loin des missiles ?

Les parents :

C’est loin de tout,

C’est loin surtout,

Dans la forêt, nous serons invisibles,

A l’ombre des manguiers, sous la canopée,

Invisibles et paisibles

Loin de la guerre civile.

 

Les enfants :

Si laide

Si vile

 

Les parents :

Là-bas nos vies ne seront plus en péril

Cela sera comme notre coquille

 

La voix :

Insomnie, mal de mer,

L’enfant rit enfin et sa mère,

Regarde au loin…

Est-ce si facile ?

Le voilà qui se dessine,

Sous le soleil qui illumine,

Voici le Brésil.

Les enfants :

Voici le Brésil.

 

Les parents :

La vie ne tenait qu’à un fil,

Nous avons quitté ceux d’avril,

Pour ce pays, d’eau, de forêt,

Où c’est toujours le mois de mai.

 

La voix :

Le véritable exil n’est pas d’être arraché à son pays.

C’est d’y vivre et ne plus rien trouver de ce qui nous faisait l’aimer.

 

Les enfants :

J’ai grandi maintenant,

Je ne suis plus un enfant,

Plus vraiment.

Je n’ai pas eu le temps….

L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années

Mais celui qui a le plus senti la vie.

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